Planquer aux yeux de tous

Le mur que Lou Lombard construit brique par brique dans Galerie Showcase évoque d’abord l’image d’un passage interdit, telle une fenêtre obstruée par des moellons pour empêcher l’accès aux squatteurs. Puis cette image se troue, les briques sont creuses.

Dans certaines, on peut lire des dessins faits de lettres tamponnées.

Une autre est toute pleine de petits objets pris dans la cire, un mini paysage touchant, bavard et familier comme ces vide-poches qu’on retrouve dans toutes les maisons. Des bibelots, de ceux qu’on pose dans un nouvel appartement manière de dire qu’on est ici chez soi, occupent un des casiers.

Lou Lombard en a mis partout, elle s’installe ! On est face à une construction brutale et généreuse, bien ancrée dans le présent, celui de l’artiste qui doit trouver une juste place pour l’art au sortir des études et fabriquer son environnement et son économie. Dans cette recherche prolifique et spontanée, Lou ménage pourtant naturellement une place pour l’autre : elle invite Juliette Fabert à compléter le tableau, parce qu’une artiste ne réfléchit jamais seule.

Les briques ouvertes qui servent ici de modules de construction sont des boites que l’artiste a collectées sur son lieu de travail. Sur un côté, une étiquette : « 100 % merino base layer, 109 €  ». La laine est pour Lou un matériau chéri qu’elle intègre souvent à ses sculptures. Elle la récupère habituellement brute auprès d’amis éleveurs qui la jettent après la tonte, un rebut de peu de valeur. Mais dans ces boites-là, il s’agit d’articles de luxe ; des produits techniques au cœur d’une dissonance à laquelle Lou se confronte régulièrement. La montagne. Son exploitation coûteuse et polluante, le tourisme qui dégrade le paysage, c’est aussi ce qui remplit les assiettes, dans les Hautes-Alpes d’où elle vient, ou à Marseille en travaillant au Vieux Campeur.


« Alors, on sourit au client pour la prime, et on lui dit qu’il a neigé à tel endroit, que ce sera super pour le weekend à Courche. »


Dans l’une des boites,

sculpture chlostro pote

dans la cave rouge

pulq fraise demande

urgente svp

layner sur mes yeux de

piscine fermer

j’ecris jamais jusqu’au bout


t

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b

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Lou Lombard est née en 1999 dans les Hautes-Alpes. Après des études en lycée sport-études, et une année de prépa en art à Digne-les-Bains, elle intègre l’école d’art d’Annecy (ESAAA) et y obtient un DNSEP en 2023. Aujourd’hui, elle vit et travaille entre Marseille et les Hautes-Alpes. Elle participe aux expositions du collectif Panard, constitué d’autres étudiants de l’ESAAA, et a assisté des artistes tels que Abraham Cruzvillegas, Vir Andres Hera, Camille Llobet.


Le travail de Lou Lombard s’inspire de la culture traditionnelle des montagnes du Champsaur et de sa langue en voie de disparition. Elle emprunte des gestes issus des univers du sport, de la montagne et du BTP, afin de les retranscrire sous des gestes sculpturaux dont : le fartage, le brossage, le feutrage, le dépeçage, la découpe, le déneigement, le salage, l’affûtage, le plâtrage et la mise en tension par des nœuds de sécurité. Son travail est peuplé ainsi par des matériaux allant des crampons aux tissages artisanaux, des piolets à la laine brute, du matériel de ski aux pattes de chevreuil, des fers à béton aux filets, des rebuts de chantier aux pièges, perturbant ainsi la frontière entre monde industriel et vestiges ancestraux, permettant la construction de formes hybrides.

https://www.instagram.com/lombardbard05/